Truong Luy, l’autre grande muraille d’Asie

Découverte par une équipe internationale d’archéologues, une muraille de 127 kilomètres de long dans les montagnes du Centre serait la plus importante réalisation de la dynastie impériale Nguyên (1802-1945) et la plus longue construction d’Asie du Sud-Est.

Truong Luy, la grande muraille du Vietnam, l’autre grande muraille d’Asie ou le plus long monument du Sud-Est asiatique. Ce sont les appellations données à cet ouvrage long de 127 kilomètres situé dans les provinces de Quang Ngai et Binh Dinh (Centre), et qui constitue l’une des plus importantes découvertes archéologiques faites ces derniers temps dans le pays.

 En 2001, lors de la traduction de l’ouvrage Géographie descriptive de l’empereur Dông Khanh, rédigé entre 1885 et 1888, puis sa publication en 2003 par l’Institut du Han Nôm et l’École Française d’Extrême-Orient (EFEO), le Dr Andrew Hardy, directeur de l’EFEO à Hanoi ainsi que son prédécesseur l’historien Philippe Papin ont appris l’existence d’une ancienne muraille dans la province de Quang Ngai (Centre). Quatre années plus tard, Andrew Hardy et l’archéologue vietnamien Nguyên Tiên Dông se sont rendus dans cette localité où ils ont trouvé de grands tronçons de la muraille, bien connu des historiens et de la population locale mais plus largement méconnu du public.

Depuis 2005, l’EFEO collabore avec l’Institut d’archéologie du Vietnam de l’Académie des sciences sociales du Vietnam et le Service de la culture, du sport et du tourisme de Quang Ngai afin de procéder à une recherche interdisciplinaire sur cet ouvrage, employant la méthodologie des sciences de l’histoire, de l’archéologie, de l’anthropologie, de la géographie… Simultanément, les scientifiques impliqués organisent des formations pour les étudiants vietnamiens et européens dans le cadre d’une projet d’études co-dirigé par Andrew Hardy de l’EFEO et Nguyên Tiên Dông de l’Institut d’archéologie du Vietnam et financé par le Fonds Ford, l’Agence française pour le développement, le ministère français des Affaires étrangères ainsi que l’Académie des sciences sociales du Vietnam.

Après cinq années de recherches et d’études, l’équipe a mis au jour une muraille de 127 kilo-mètres sinuant entre rizières et collines, constitué de pierres et de terre, en partie dévoré par la végétation. Les gens de cette localité l’ont déjà baptisé la “grande muraille du Vietnam” : même si elle n’a rien de comparable à son homologue chinois de 6.700 km, elle n’en est pas moins la plus longue construction d’Asie du Sud-Est, devenant ainsi une nouvelle fierté du Vietnam.

Un important ouvrage de nos ancêtres. Selon les documents historiques, cette muraille a été construite en 1819 sous les ordres du mandarin Lê Van Duyêt (1763-1832), originaire de la province de Quang Ngai, explique l’historien Phan Huy Lê. S’étendant de la province de Quang Ngai jusque dans celle de Binh Dinh, elle est sans doute la plus importante réalisation de la dynastie des Nguyên (1802-1945), la dernière du Vietnam. Toutefois, les résultats des fouilles révèlent que l’ouvrage est plus ancien, du XVIIe siècle en réalité. Les fragments de céramique trouvés sont d’origines étrangères, mais il y a également de Quang Ngai, de Bat Tràng (Hanoi) et de Hai Duong (Nord), témoignant d’échanges commerciaux entre les Viêt et les ethnies minoritaires. Les Viêt qui vivaient en plaine apportaient des objets en céramique, du sel dans la zone de cette muraille pour commercer avec les autres ethnies qui leur fournissaient thé, poivre et cannelle. Les résultats des fouilles sont le constat de ce que ce mur a une longue histoire, construit à une période antérieure puis entretenu et réparé par plusieurs générations successives, selon l’historien Phan Huy Lê.

Bâti le long d’une route préexistante, ce mur atteint jusqu’à quatre mètres de haut par endroits. Il semble que sa construction est l’oeuvre commune des deux communautés Viêt et H’rê. Il est certain en revanche qu’il constitue un axe de communication et de commerce important, toujours selon Phan Huy Lê qui explique que “la route préexistante est un chemin montagneux, un axe reliant la région montagneuse à celle de la plaine”. D’après l’archéologue Nguyên Tiên Dông, cet axe relie également le Nord et le Sud car il a été construit le long de la route mandarinale entre la cité impériale de Huê et les provinces méridionales.

Nguyên Tiên Dông et son équipe ont aussi trouvé de nombreux objets témoignant de la présence de monuments religieux pour le service des peuples vivant des deux côtés de la muraille : “la population se rendaient en ces lieux de culte, des temples, afin d’invoquer la protection de leurs divinités”.

À proximité, les archéologues ont recensé près de 80 forts de défense chargé également de la perception des impôts sur les échanges entre montagne et plaine. Nombre de ces forts sont demeurés intacts, certains étant en terre avec fossés, d’autres en pierre avec des murs fortifiés d’entre deux et quatre mètres de hauteur. Selon les documents historiques, au début du XIXe siècle, ces forts étaient été gardés par une troupe de 1.150 soldats de la Cour impériale.

Études interdisciplinaires et plan détaillé. Après une étude de l’ensemble des vestiges, l’équipe de recherche de Nguyên Tiên Dông et d’Andrew Hardy a conclu que cette muraille avait plusieurs fonctions néanmoins primordiales sur les plans militaire, économique et social. Ainsi, l’équipe eut affirmé aujourd’hui la nécessité d’étudier ce site d’un point de vue interdisciplinaire : historique, ethnologique, anthropologique, sociologique… Raison pour laquelle ce projet réunit beaucoup de scientifiques de différents horizons, vietnamiens, italiens, anglais, français…

L’équipe vient d’achever le plan détaillé de la fameuse muraille, réalisé avec des relèvements GPS entre 2007-2010 ainsi que d’anciens documents et plans, et dressé par les spécialistes de l’Université du Colorado (États-Unis).

Grâce à celui-ci, les scientifiques ont déterminé son extrémité nord, dans le district de Trà Bông de la province de Quang Ngai, et extrémité sud dans le district d’An Lao de la province de Binh Dinh, pour une longueur hors tous de 127,4 km dont 113 km dans la province de Quang Ngai. De Trà Bông à Duc Phô (toujours au Quang Ngai), la muraille traverse différents reliefs qui ont conditionné les matériaux employés : tronçons en pierre, d’autres en terre, et d’autres encore avec appareillage en pierre et blocage en terre. En quelques lieux, le mur s’interrompt en raison de la présence de gouffres très profonds avec des falaises très dangereuses, rendant impossible toute construction.

L’équipe a étudié jusqu’à présent le tronçon de la muraille à Quang Ngai, dans les communes de Hành Dung, Hành Tin Dông, Hành Tin Tây (district de Nghia Hành) et au chef-lieu de Trà Xuân (district de Trà Bông, extrémité nord de la muraille), entre 2009 et 2011. S’agissant la partie située à Binh Dinh, une autre campagne de fouilles et d’étude doit être établi, déclare l’archéologue Nguyên Tiên Dông.

Potentiel touristique. Véritable richesse patrimoniale, l’ancienne muraille pourrait devenir une attraction touristique sur un plan mondial, et cette découverte pourrait bien conduire à la création du plus grand trekking d’Asie du Sud-Est.

Comme elle épouse une voie de communication, la visite de ses sites est largement facilitée. Du chef-lieu de Quang Ngai, on peut se rendre au district de Nghia Hành où se trouvent de magnifiques tronçons, précise le directeur de l’Institut d’archéologie Tông Trung Tin, pour qui un taxi ou une moto suffisent.

Par ailleurs, à proximité de ces sites, les visiteurs peuvent découvrir les paysages particuliers de cette province comme les us et coutumes de la population locale. Quang Ngai jouit en effet d’un paysage de montagnes, de sources chaudes, outre des kilomètres de plages. La province compte également plusieurs sites culturels dont des vestiges de temples et de citadelles.

Les voyageurs peuvent également profiter de l’occasion pour goûter aux spécialités de l’ethnie H’rê, ajoute l’archéologue Nguyên Tiên Dông. La muraille est désormais si incontournable qu’elle doit être introduite dans le programme de développement du tourisme et de la culture de cette localité.

En mars 2011, le ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme a classé cette muraille patrimoine national. Avec les résultats de ces recherches, “je pense que Quang Ngai peut déposer un dossier pour une reconnaissance en tant que patrimoine culturel du monde”, affirme Nguyên Tiên Dông.

Concernant sa protection, le Comité populaire de Quang Ngai a déjà, pris les mesures nécessaires : le population peut vivre à proximité mais il est interdit de le démanteler ou d’utiliser ses matériaux, comme de bâtir de nouvelles constructions dans les zones protégées. Le Comité populaire provincial a demandé aux districts et communes concernées de veiller au respect de ces règles.’

(Lecourrier)

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