Les estampes populaires vietnamiennes
Qui ne connaît des estampes vietnamiennes ? Dans notre mémoire, elles représentent souvent des enfants poupons avec trois touffes de cheveux sur la tête, ou des lutteurs au nombril en forme de bouche ouverte. Ou bien alors, appartenant à un autre thème, des truies ou des poules bien dodues au milieu de leurs nombreux petits, symboles de la prospérité. Cependant, le dessin le plus célèbre est sans doute celui qui représente un mariage de souris. Les traits sont souvent épais mais toujours nets et les couleurs parfois très riches qui peuvent ne pas du tout reproduire celles données par la nature. Ce ne sont donc pas des oeuvres figuratives, mais présentent bien, à leur manière, des symboles de la société vietnamienne.
En fait, les estampes font partie depuis des temps immémoriaux de la vie du petit peuple vietnamien, dont elles servent d’ornements dans les foyers, notamment à l’occasion du Têt. On ne sait à quelle époque précise elles sont apparues : peut-être avec l’impression des premières feuilles de monnaie-papier sous la dynastie des Ho (1400), voire, selon certains historiens, avec la dynastie des Ly (1010-1225) ; leur origine pourraient remonter même à plus loin encore. Elles racontent souvent des scènes de tous les jours : travaux de la rizière, animaux domestiques, marchés; ou bien décrivent des fêtes, une danse de la licorne ou du dragon, un combat de lutteurs, une partie d’échecs. On peut rencontrer aussi les grandes figures de l’Histoire vietnamienne : Lê Loi, Quang Trung, Tran Hung Dao, Dinh Tien Hoang, Ngô Vuong, les soeurs Trung, etc. Sont également représentés des animaux fabuleux tirés de la mythologie, des génies relevant des croyances populaires ou des divinités : dragons, licornes, phénix, Bouddha et ses disciples…. Les sujets ne manquent pas et reflètent effectivement toute la richesse culturelle accumulée depuis des millénaires.
De tout temps, l’artisan, simple paysan entre deux cultures de riz, commençait par une gravure sur bois imputrescible, qu’on peut réutiliser parfois pendant plusieurs décennies, mais la pose des couleurs relevait de deux techniques différentes, selon la provenance des estampes :
1- pour les estampes produites dans village de Dông Hô`, dans la province de Bac Ninh, on faisait un tirage pour chaque couleur, sur du papier de couleur ocre ou jaune obtenu à partir du bambou ou de l’écorce du mûrier ou du giâ’y do’ (rhamnoneuron balansae)
2- pour celles provenant de la rue des Tambours (hàng Trống) à Hanoi, on imprimait seulement le dessin puis on ajoutait les couleurs au pinceau.
En fait, c’étaient là les deux lieux les plus célèbres dans la production des estampes populaires. Les images de Dong Ho utilisaient pour leurs couleurs des coquillages (huîtres ou moules), de la suie (noire), de la terre (ocre), de fleurs (sophora jaune), etc. Les gravures de la rue des Tambours présentent, quant à elles, des teintes plus variées et estompées, par exemple dans les roses des chairs d’enfants.
Les gravures sont souvent accompagnées de caractères chinois ou nôm qui indiquent un titre ou une citation, voire un poème. Celles de Dong Ho sont parfois satiriques ou humo ristiques: le mariage des souris critique la société féodale, la scène de jalousie est accompagnée des paro les mielleuses de la part d’un mari adultère, celle de la cueillette de noix de coco est franchement érotique: “Loué soit celui qui a dressé ce cocotier En haut on grimpe en bas on reçoit, pour faire un couple.” Les scènes mises en gravures de la rue des Tambours se passent plutôt en ville et contiennent davantage de détails : danse du dragon, jeux d’enfants, les quatre saisons, etc. Ces estampes sont souvent de format plus grand que celles de Dong Ho (jusqu’à 1,50m de large pour des panneaux multiples).
Les estampes populaires perpétuent ainsi la mémoire des scènes de la vie quotidienne, mais aussi la culture et les croyances du peuple.
(Dejean de La Bâtie)