Le marché de Dông Xuân à Hanoi

Bien que modernisé dans le sillage du boom économique dû au Dôi moi (Renouveau), Dông Xuân préserve les caractéristiques du marché traditionnel de nos villages.


Il fut un temps -peut-être avant la Révolution de 1945- où les gens de Hanoi disaient : “les pickpockets de Dông Xuân”. Toutes proportions gardées, comme on disait ailleurs : “les gangsters de Chicago”. Dông Xuân avait aussi ses gangs et ses Al Capone en herbe.

Dông Xuân désigne le plus grand marché de Hanoi. Situé sur le principal axe du vieux quartier, il faisait partie d’un ancien hameau qui portait le même nom avant de devenir une rue. Il a été construit en 1889 par l’administration coloniale française pour remplacer l’ancien marché de Câu Dông (Pont de l’Est), qui se trouve à l’est, près de la rivière Tô Lich, comblée en grande partie pour aménager de nouvelles rues. Couvert de tôle, il comprenait 5 larges compartiments. Desservi par le fleuve Rouge tout proche que traverse une voie ferrée sur l’ancien pont Doumer et que sillonnent des chaloupes et des barques, et par un tramway qui s’arrêtait devant sa porte, le marché de Dông Xuân regroupait les produits de tout le pays et vendait surtout en gros. Empli de marchandises et grouillant de monde, il offrait un spectacle toujours haut en couleur qui ne manquait pas d’attirer le colon en mal d’exotisme.

Au tournant du siècle, pour le paysan casanier et vivotant dans les campagnes dénuées, Hanoi avec ses premières lampes électriques et son fameux marché de Dông Xuân, produisait un effet mirobolant, comme le prouve une chanson populaire de l’époque :

Hanoi est une grotte de fées
Dès six heures du soir, ici, là bas, partout
S’allument les lumières, scintillent mille feux
Mais le plus joyeux
De tous ces lieux
C’est le marché de Dông Xuân, où l’on trouve tout
Et de partout.

Voici comment était le marché aux années 30. Le compartiment du centre était occupé par les marchandes de classe (la grande majorité des commerçants était des femmes) : les marchandes d’étoffe trônant sur des lits de camp et les marchandes des quatre-saisons assises derrière de gros paniers de pommes, d’oranges et d’autres fruits importés de Hong Kong, de San Francisco…, de légumes de luxe (choux-fleurs, choux, poireaux…) venus des hautes altitudes (Sa Pa, Dà Lat). D’autres emplacements étaient réservés aux merciers (surtout des Chinois), aux restauratrices avec leurs spécialités qui faisaient les délices du fin gourmet de Hanoi (nem, pho, bouillon de crabes aux vermicelles…), aux marchandes de porc rôti, de vaisselle, de plantes d’ornement, de médicaments traditionnels, de bétel, de noix d’arec, de vannerie…, et même à une dizaine de devins et de devineresses aveugles ou pseudo-aveugles.

L’ancien Dông Xuân évoquait plus d’un souvenir attendri aux poètes et écrivains. Le brillant nouvelliste et essayiste Thach Lam (1909-1942) a dépeint en termes touchants l’échoppe de thé de mademoiselle Dân devant le marché : “… À son étalage, elle n’a pas grand’ chose : quelques chiques de bétel, quelques paquets de tabac pour pipe à eau, des cigarettes au détail, des bols de faïence pour le thé, retournés sur le minuscule comptoir de bambou, comme dans toutes les échop-pes de thé du Vietnam… Dans une échoppe de thé, on trouve du thé mais aussi une charmante marchande. Il faut savoir qu’au Vietnam, une jolie marchande de thé est une figure bien typique de la vie quotidienne… Nombreux sont les romans qui commencent et finissent dans une échoppe de thé”.

Après la réoccupation de Hanoi par la résistance victorieuse (1954), l’accent a été mis sur l’étatisation du commerce, ce qui a diminué l’animation de Dông Xuân. Le marché a connu un véritable regain d’activité au cours des années 80, surtout avec la politique de rénovation économique qui encourage l’entreprise privée. Françoise Corrèze, journaliste française, note :

“Le marché est plein d’odeurs qui vous sautent au visage et au cœur à vous en faire tourner la tête : cannelle, safran, avec çà et là une pointe de poivre ou de gingembre… Il y a bien sûr des fruits : bananes, papayes, mandarines, oranges plus vertes qu’ensoleillées, à la peau souvent granuleuse”.

Pour répondre au ravitaillement de Hanoi dont la population a plus que décuplé en un siècle, le marché de Dông Xuân a été rebâti en 1990. Il s’est modernisé tout en gardant son ancienne façade. Malheureusement, il a été complètement détruit par l’incendie de juillet 1994 qui a causé des dégâts s’élevant à 17 millions de dollars US. Le marché reconstruit une deuxième fois a été inauguré en décembre 1996. Il y règne plus d’ordre et de propreté, mais on pourrait y regretter l’anarchie pittoresque d’un âge révolu.

Huu Ngoc/CVN

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