Des céramiques renfermant l’âme des Cham

Situé au bord de la nationale 1A, le village de céramique de Bàu Truc appartient au bourg de Phuoc Dân, province centrale de Ninh Thuân. De nombreux touristes s’y rendent, attirés par les céramiques portant l’identité des Cham comme une signature.

Le village de Bàu Truc est à 10 km de Phan Rang-Thap Chàm, une ville également très renommée pour ses céramiques Cham. Actuellement, Bàu Truc compte environ 400 familles, 80% d’entre elles vivent de cet artisanat.

La céramique de Bàu Truc a une longue histoire derrière elle. La légende voudrait que ce soit le couple de génies tutélaires Pô Klông Chanh qui l’ait transmise aux femmes du village il y a plusieurs milliers d’années. Le village a sans doute été créé au début du XIXe siècle, vers 1832, sous le règne de l’empereur Minh Mang (1791-1841, 2e empereur de la dynastie des Nguyên, dernière dynastie féodale au Vietnam-NDLR). De fait, Bàu Truc est un des plus ancien villages de céramique en Asie du Sud-Est.

Les poteries y sont fabriquées avec une argile spéciale prélevée à Hamu Craok et mélangée avec les sables jaunes de la rivière Quao. Pas moins de six étapes sont nécessaires ensuite : le mélange de l’argile, le modelage, l’embellissement, l’incrustation des motifs, les derniers rajustements et, enfin, la cuisson. Il faut garder en tête que tous ces procédés sont réalisés à la main. Brun intense, rouge foncé ou noir profond, les céramiques offrent à l’œil des couleurs très spécifiques, obtenues grâce à l’ancestrale connaissance des plantes des Cham. Ensuite, durant cinq ou sept heures, elles sont cuites à 900°C dans un four à ciel ouvert usant du bois et de la paille. Les produits les plus caractéristiques sont certainement ces vases rouges ocre ou noirs. On trouve là une parfaite harmonie des différents éléments : l’argile de la terre, l’eau, le feu. Résultat, une beauté mystérieuse qui n’est pas sans évoquer les légendes, les tours et les belles femmes de l’ethnie Cham…

D’atelier en atelier, des artisanes passionnées

Le village de céramique de Bàu Truc est devenu une destination de prédilection des touristes. Presque tous ses habitants vivent des céramiques. Guidés par le hasard, nous nous sommes rendus à l’atelier My Lê. Trois femmes, trois générations, un même respect de la tradition. Mme Dàn Thi Lâp, 66 ans, a plus de 50 ans d’ancienneté dans le métier. Sa fille, Hoa, a débuté très tôt, à l’âge de 10 ans. Et c’est maintenant au tour de My Hoài, bientôt quatre ans, d’être initiée à l’art ancestral de la céramique. Quand Mme Lâp réalise un vase, on trouve, juste à ses côtés, sa petite-fille qui modèle aussi des morceaux d’argile dans l’atelier rempli de pots et vases. Une image qui nous fait immédiatement réaliser que la tradition des Cham n’est pas près de se perdre.

Ensuite, nous avons poussé la porte d’un second atelier nommé Champa Phan. Une belle rencontre. Dàn Thi Phan, 68 ans, nous a raconté ses nombreuses interventions au Musée d’ethnographie à Hanoi. Elle s’y rend toujours avec tout son matériel comprenant son four, de l’argile, des outils de modelage. Tout un attirail pour offrir la meilleure présentation possible des six étapes de réalisation d’une céramique de Bàu Truc. Une autre fois, elle a été invitée à se rendre à l’Expo 2005 de Aichi au d’Japon. «J’y ai apporté 50 kg d’argile. Durant la journée, je modelais des céramiques que je détruisais le soir même pour réutiliser l’argile le lendemain. Et ainsi de suite, tous les jours de l’exposition. Avec cette astuce, j’ai pu effectuer de nombreuses présentations en Malaisie, puis en Inde…», se souvient l’artisane. Ses ouvrages offrent une variété de formes étonnantes. Tous démontrent sa maîtrise absolue. Notamment les vases de grande taille, certains atteignant plus d’un mètre de haut, parés des motifs et des reliefs les plus subtils. Et on admire là le vrai talent de l’artisane, une magicienne qui sait insuffler dans ses ouvrages l’âme des Cham.

Enfin, nous avons visité un atelier à l’écart. Celui-ci se nomme Hôn dât, ce qui signifie «âme de la terre»… On y a trouvé une bien jeune artisane, Dàn Nhu Thi Binh, 18 ans, qui embellissait des vases. Elle est la 6e génération de sa famille à perpétuer le métier ancestral.

En laissant le village de Bàu Truc derrière nous, nous avons eu le sentiment de repartir plus riche. Enivrés de la beauté de ces poteries qui renferment en elles le charme de la province de Ninh Thuân, son vent et son soleil. On comprend mieux pourquoi les touristes affluent des quatre coins du monde. Pour venir contempler un trésor qui n’a pas de prix : les mains expertes des femmes Cham parvenant à insuffler l’âme de leur ethnie dans leurs ouvrages.

(Lecourrier)


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